Biais statistiques, discours circulaires, mais aussi violence symbolique. Sous l’emprise du féminisme s’ouvre une ère de mensonge.
L’idée de ce blog est née en 2011. Le 2 avril de cette année-là, Libération publiait une profession de foi à l’instigation de plusieurs groupes féministes sous l’intitulé « Manifeste des 343 – L’égalité maintenant »1. Sa lecture laissa l’auteur de ces lignes d’abord perplexe, puis pantois. De quoi s’étayait ce chapelet d’affirmations péremptoires ? Avec un peu d’inquiétude sociologique, il fallait y regarder de plus près. Et quand on tire un fil…
La première remarque, immédiate, fut qu’en dépit de ce que ses signataires s’y recommandassent des « 343 » du 5 avril 1971, le « Manifeste des 343 » de 2011 n’a pas grand-chose de commun avec le leur (sinon que certaines signataires de celui-ci avaient déjà signé celui-là : un tiers du texte est d’ailleurs consacré à capter l’héritage par cet argument d’autorité). Il est en revanche très représentatif de ce qu’est devenu le féminisme au tournant du siècle, dans un climat de soumission générale, à gauche comme à droite, aux idéologies made in US.
Le manifeste de Libé n’a eu intrinsèquement qu’un écho relatif, comme en aura sa réplique, un an plus tard, sous la forme d’un « Appel du 6 mars contre le sexisme et les inégalités »2, à l’adresse des candidats à la présidentielle. Pourtant, entre les deux, un mois après la publication des « néo-343 » éclatait l’affaire dite DSK, qui fut, pour les groupes à l’origine du manifeste et l’ensemble des organisations féministes, l’occasion d’une intense activité d’agit-prop contre le « sexisme » qui irriguerait la société française.
Le médiocre écho du manifeste a une raison toute simple : sous un habillage radical, il ne disait rien qui ne s’entende ou ne se lise partout. Rien qui détonne du discours victimaire et autoritaire qui imprègne les esprits en la matière. Le tapage devant les caméras organisé par les groupes les plus en vue (Oser le féminisme, LaBarbe, Chiennes de garde, etc.) ne doit pas occulter que leur posture extrémiste est la seule chose qui les distingue. Car le féminisme se nourrit d’une communauté axiologique, à l’œuvre dans le maniement des enquêtes et des chiffres, qui a conquis tant la recherche académique que les départements ministériels, les partis de droite comme ceux de gauche, ainsi que la quasi-totalité des médias. Et depuis longtemps. C’est en sa banalité, expression de l’opinion courante, que réside l’intérêt du féminisme radical. Ses mensonges sont les mensonges de l’idéologie dominante.
Le féminisme va de soi. En France comme dans les autres sociétés occidentales dont l’appareil juridico-politique reconnaît l’égalité des sexes dans les affaires de la cité, il se décline en toutes choses. Il sert de référence à la République dans l’affichage de « valeurs » de substitution aux récits fondateurs, de substitut, aussi, aux références de classe délaissées par les gauches, bientôt adopté par les droites comme tout ce qui, venant de gauche, a su se vêtir de la noble évidence du bien ; il justifie devant les classes savantes la torsion de la langue commune ; il est instrument de gestion des ressources humaines dans les grandes compagnies, bannière mobilisatrice du contrôle social, viatique des classes moyennes à capital scolaire dans leurs efforts pour accéder aux strates supérieures, fonds de commerce des scénaristes du petit et du grand écran, raison légitimante des experts en lien social défaillant qui entretiennent à feu doux la question musulmane.
L’hégémonie culturelle du féminisme couvre tout le champ social ou presque, et, dans les derniers recoins où il ne déploie pas ses calicots, il n’a pas de contradicteurs. Nul parti, nulle coterie, nul groupe constitué ne s’affiche comme antiféministe. Il y eut des antifascistes, des anticommunistes, qui ne se cachaient pas. Ils combattaient une idéologie. Il y a des antilibéraux qui ne cherchent même pas à dissiper une confusion dont la liberté pourrait souffrir, autant que le mal nommé néolibéralisme (l’économie politique comme horizon de la pensée) qu’ils conspuent comme idéologie. Le féminisme est-il autre chose qu’une idéologie ? En rien. Mais il va trop de soi pour qu’on s’en avise.
Héritier lointain de mouvements d’émancipation, le féminisme est à l’instar de l’ordolibéralisme une idéologie habile à désarmer la contradiction par l’agitation répétée de fausses évidences. Ni l’un ni l’autre ne se donne pour ce qu’il est, et l’un et l’autre ressemblent beaucoup à ce qu’ils disent combattre : dans un cas le parti de la rente, dans l’autre un sexisme de classe. L’un et l’autre recourent d’abondance à la culpabilisation comme technique de persuasion. Autant il faudrait aux humbles se « réformer » par plus de travail et moindre paie d’une mentalité de nantis ou d’assistés, autant il faudrait aux hommes battre leur coulpe du sort injuste que par leur faute la « société » réserverait aux femmes.
Alors que les pétitionnaires de 1971 adressaient aux pouvoirs publics une revendication au nom de la liberté (la suppression de la loi prohibant l’avortement), celles de 2011-2012 demandent « juste l’égalité », égalité tantôt exprimée sans prédicat, tantôt comme « l’égalité salariale ».
C’est l’affirmation que cette égalité, dans la France du xxie siècle, serait encore à conquérir qu’il faut interroger. Ce dont elle prétend s’étayer éclaire singulièrement la nature du féminisme, comme idéologie et comme praxis.
L’égalité des sexes n’est pas que dans la loi, elle est aussi dans les mœurs en France et en Europe, où elle n’a nulle part de contradicteurs. Mais « le désir de l’égalité devient plus insatiable à mesure que l’égalité est plus grande »3. Rien d’étonnant donc, selon l’observation toquevillienne, si le féminisme est aujourd’hui une passion omniprésente : c’est qu’il n’a plus d’objet.
A moins qu’il n’en ait un qui ne se laisse pas volontiers deviner. Il faudra y regarder à deux fois. A quoi, à qui sert-il ?
Entre travail et famille, le féminisme, idéologie d’État et ersatz de radicalité, s’emploie à culpabiliser les consciences.
Faiblement persuasif auprès des classes populaires, il est très porté dans les échelons supérieurs. Un discours savantasse où la magie des chiffres tient lieu d’argument (point commun avec l’économisme comptable, néolibéral ou non) tend à mobiliser un principe de discrimination positive au service de carrières particulières. Incidemment, au prisme de biais statistiques répétés comme des mantras, il infléchit l’approche du marché du travail. C’est son plus grand succès : avoir accaparé académiquement – et intellectuellement ruiné – la connaissance sociologique des mondes du travail.
La lamentation féministe roulant sur la famille, la conjugalité et les « tâches domestiques » est inlassablement associée à la dénonciation de l’inégalité au travail. Associée, mais ignorant ou dissimulant ce qui fonde véritablement l’articulation de la famille et du travail sous l’angle des rapports hommes-femmes. Là comme ici, le chiffon rouge d’un supposé sexisme est agité comme le signe d’une cause dernière. L’idéologie ne connaît que l’idéologie. Il lui faut un ennemi à sa mesure pour se justifier, voilà donc le « sexisme » hissé sur la scène (en cela, le féminisme emprunte plutôt un idéologème de gauche, celui de l’hydre contre-révolutionnaire).
Le travail, la vie domestique, il manque encore un champ où se déploie l’entreprise de culpabilisation et de dénonciation : la sexualité, les rapports de séduction et les rapports amoureux, envisagés comme réduits aux produits d’une domination scandaleuse. Là, l’idéologie se doit de surinvestir le mensonge qui la fonde. Le scandale tient au caractère sexué du monde, qui lui inspire une dénégation principielle, en vertu de laquelle elle décrète le bien et le mal. Mais ce faisant, le féminisme ne s’en tient pas à l’éther de la morale. Nouveau puritanisme, il vise à instaurer toujours plus étroitement et à pérenniser la surveillance et la police des mœurs.
Le propos du présent blog est d’interroger la raison féministe dans ces trois champs, et d’inviter à la réflexion sur son agencement et sa dynamique.
1. www.liberation.fr/societe/01012329402-le-nouveau-manifeste-des-feministes. (retour au texte)
2. Publié le 11 février 2012 par le Journal du dimanche, www.lejdd.fr/Election-presidentielle-2012/Actualite/Des-associations-lancent-le-6-mars-un-appel-a-la-Resistance-des-femmes-485748/.(retour au texte)
3. Toqueville, De la démocratie en Amérique, t. 2, II, ch.13.(retour au texte)
On est habitué au discours, politiquement correct, de l’égalité nécessaire entre l’homme et la femme à tous les niveaux. On se sent un peu gênée parfois d’être incluse, du simple fait d’être femme, dans le troupeau des revendicatrices, toujours déçues, toujours flouées, semble-t-il. « Critique sociale du féminisme » démontre qu’il y a non seulement exagération dans ce forcing féministe, mais encore violence faite à la vérité, mensonge utile… En lisant et relisant les différents chapitres de cette Critique, on découvre peu à peu les rouages de ce « mythe » de l’inégalité hommes-femmes dans notre société – un mythe dont on ferait bien de se défendre faute d’être… dévoré par la démagogie. Excellente et précieuse lecture (très solidement étayée) pour combattre à armes égales !
Oh oh oh…
Je vais vous relire et surtout vous découvrir car j’aime bien avoir un peu d’informations sur un auteur. (D’ailleurs, si vous pouviez m’indiquer où se trouve votre présentation et la présentation du blog)
Je ne crois pas au forcing féministe, je crois en une société qui a encore à évoluer. A son rythme, doucement mais sûrement.
Je crois aussi que si vous avez la chance d’être une femme heureuse, soyez-le avec éclat. Que vous soyez femme au foyer, active, universitaire, non diplômée etc… De même que si vous êtes un homme heureux…
Cependant, contrairement à vos idées reçues, que ce soit par éducation, habitude, expérience, ou simplement le fait d’être heureux dans une situation qui vous convient, cessez de croire encore que la femme est en France l’égale de l’homme. Ce n’est pas vrai. Ensuite, l’égalité est toujours adaptabilité.
Si vous avez trois enfants, vous les aimez tous trois et cependant, votre amour s’adapte à chacun, selon sa personnalité, selon son caractère.
La femme sera l’égale de l’homme quand elle jouira d’autant de respect que lui. Et le respect, c’est aussi admettre qu’une femme peut vouloir autre chose, vouloir faire autre chose, vouloir être autrement que ce que des siècles ont vu et l’encourager si son bonheur est dans cette voie.
Le respect, c’est respecter son travail, sa personne, ses idées, ses projets, ses envies. Son identité, dans le respect de sa féminité.
Et il ne va pas sans le respect de son prochain, féminin ou masculin.
Bref, à revenir !
Merci de votre visite, et excusez cette tardive réponse.
Mais qu’entendez-vous par le mot « respect », quand vous écrivez « La femme sera l’égale de l’homme quand elle jouira d’autant de respect que lui » ?
Dignité ? reconnaissance sociale ? Où voyez-vous qu’elle en ait moins ? Dans quels milieux ?
Il y a partout des gens mal embouchés qui manquent de respect envers le travail, la personne, etc, de quelqu’un : croyez-vous vraiment que ce quelqu’un est moins souvent un homme qu’une femme ?
Il serait intéressant d’étudier systématiquement – mais c’est peut-être incommensurable – l’exposition différentielle aux humiliations du quotidien, incluant sans s’y limiter l’angle de la souffrance au travail (situation du subordonné reprimandé par un chef devant des tiers, etc.), les rapports avec l’administration, avec les agents d’autorité, avec les sachants de tous ordres, etc.
La forme particulière de respect qu’une bonne éducation oblige les hommes à avoir pour les femmes ne garantit pas toujours celles-ci contre les gougnafiers, certes, mais en maintes situations elle protège leur dignité.
Ne perdez pas de vue qu’elle est sans symétrique, et qu’elle pourrait ne pas survivre longtemps au laminoir féministe…
Bien à vous,
P.S. : non, il n’y a pas d’autre présentation de ce blog que la page d’introduction… En faut-il plus ? C’est que je ne suis pas très « selfi »…
Interessants articles, beau blog.
Félicitations .
Bienvenue voir mes créations:
http://paintdigi.wordpress.com
Merci de votre visite et de votre intérêt. Je ne manquerai pas de visiter Paintdigi.
Bien à vous
Bienvenue :)
Bonjour! Votre compte facebook a été désactivé. Nous avons déjà coopéré pendant un temps. Reprenez contact avec moi, le mail est dans l’info. Cordialement. …
Les femmes respectent-elles les hommes au chômage ou au smic ?
http://journalmetro.com/plus/carrieres/121474/les-femmes-veulent-un-amoureux-qui-travaille/
Je ne dirais pas que c’est question de respect, mais, oui, il y a bien un prolétariat ou précariat de l’amour et du sexe, principalement masculin.
Et si l’on veut une « domination » féminine en la matière, qui se traduit entre autres par la fréquente capacité des femmes à conduire une stratégie hypergamique sur le marché conjugal, sujet que j’aborde ici
https://critiquedufeminisme.wordpress.com/category/iii-la-querelle-du-menage/page/2/
Et quand il n’y a pas hypergamie, il y a encore dissymétrie des positions de marché…
Merci pour ce lien éloquent.
Bonsoir. Le féminisme est un mouvement complexe qui a connu trois vagues successives. La derniere vague reprend tout a fait les critiques sociales de classe que vous lui reprochez dans votre blog. Etre femme de classe populaire, femme cadre racisee, ou femme cadre blanche, ne demande pas la meme perspective, et CA, le feminisme ne vous pas attendu pour y reflechir. Le feminisme n’a rien non plus d’une ideologie, c’est un movement critique de notre societe qui lui apporte beaucoup. Aussi, le feminisme s’adresse AUSSI aux hommes, et cherche a defendre les hommes contre un modele masculin hegemonique vendu par la societe actuelle qui voudrait forcement que tous les hommes soient » beaux, forts, riches avec un bon job, » et ca aussi le feminisme ne vous a pas attendu pour cela. Mais il y’a un scoop : le sexisme peut etre autant interiorise par les hommes que les femmes ( ex : les femmes seront poussees a chercher un amoureux qui travaille, les hommes une amoureuse jeune et attirante physiquement.)
Merci de vous renseigner sur cela.
Bien a vous.
Quand vous écrivez « le sexisme peut être autant intériorisé par les hommes que les femmes », vous voulez sans doute dire que « le sexisme peut être autant intériorisé par les femmes que les hommes ».
La grammaire vous joue des tours. Or elle structure la pensée, prenez-y garde.
La complexité dont vous parlez est une complexité de chapelles. Il ne m’a pas échappé qu’entre le constructivisme de Butler, filière Beauvoir, les errements juridiques de Coleman, les essentialismes sexistes façon Haraway (nonobstant les néonazies façon « Sororité aryenne »), les féminismes puisent à des élucubrations diverses. Mais voyez-vous, ou plutôt voyez-le en le lisant plus avant, l’objet de ce blog n’est pas l’archéologie de l’erreur, mais la discussion de ses effets.
Or ces âneries, pour diverses qu’elles soient par leurs origines, ont la plupart ceci de commun qu’elles convergent à produire les mêmes effets : une représentation paranoïaque du monde, l’étatisation des rapports sociaux, la domination d’un management vertueusement paritaire sur des classes populaires où les femmes comme les hommes souffrent de la phraéséologie culpabilisatrice et suffisante où vous voyez un « mouvement critique de notre société qui lui apporte beaucoup ».
Il y a eu beaucoup de femmes en gilets jaunes sur les ronds-points. Aucune ne s’est faite l’écho d’aucun item féministe à la mode. Réfléchissez à ça.
Cdt.
à chama : Je m’interroge sur deux choses : 1) Pourquoi être féministe quand on est humaniste ? 2) Croyez-vous fondamentalement à l’égalité quand les deux sexes n’ont pas du tout les mêmes attributions physiques ou physiologiques ? En droit, on peut (vote etc.) mais dans les faits réels à chaque situation de la vie ? Car croire qu’un 50/50% serait applicable, c’est se méprendre sur la nature humaine dès le départ. Et croire qu’il y a une idéologie, le « modele masculin hegemonique vendu par la societe actuelle », c’est l’inverse qui arrive.