“Gender gap” politique, où en est-on ?

“Gender gap” politique, où en est-on ?

Les intentions de vote en faveur de Zemmour donnent une fausse idée des éventuelles polarisations idéologiques selon le sexe, qui sont pour le moins instables.

De 1965 à 1981, les femmes ont majoritairement voté à droite à la présidentielle comme dans les autres élections nationales, le premier repoussoir du suffrage féminin étant le parti communiste. Mais aux législatives qui ont suivi la première élection de Mitterrand, elles ont à 54 % participé à la « vague rose », et dans les décennies suivantes elles ont continué de favoriser la gauche, au moins relativement dans les scrutins où elles ont moins contribué que les hommes aux succès de la droite considérée globalement, comme en 1993. Considérée globalement, parce qu’il faut alors parler des droites, le Front national ayant pris le relais du PCF comme repoussoir du suffrage féminin et polarisant sur lui seul cette réticence des femmes. En 2007, cette période tend à s’achever : les femmes ont voté pour Sarkozy moindrement que les hommes, mais majoritairement (52 %). Et en 2012, elles ne sont que 51 % à voter pour Hollande, au lieu de 52 % des hommes. La dissymétrie des forces et l’équivoque du positionnement idéologique de Macron au second tour de 2017 brouillent la lecture. Les femmes votent plus massivement (68 %) que les hommes (62 %) pour Macron au second tour, mais l’écart au premier n’était que d’un point pour Le Pen : 21 % chez les femmes et 22 % chez les hommes, du même ordre donc et dans le même sens que dans l’électorat Macron (23,3 % chez les femmes, 24,4 % chez les hommes). Le gender gap se résorbe notablement, s’agissant de la candidate d’un parti repoussoir.

Le cas Zemmour

Considéré à grands traits, le gender gap idéologique est donc sujet à éclipses, et surtout à revirements. Que se dessine-t-il pour 2022 ?

Depuis la fin de l’été 2021 où les sondages ont commencé à considérer sa candidature, le gender gap s’est invité en force dans les commentaires à propos de Zemmour. Les grands médias tout acquis aux mantras féministes ne pouvaient manquer de se repaître des réticences de l’électorat féminin dans les intentions de vote, à l’endroit de l’auteur du Premier Sexe.

Le phénomène est en effet récurrent dans les enquêtes. Celle d’Opinionway[1] donne ainsi un écart de six à huit points d’octobre à décembre entre les intentions de vote des hommes et des femmes. La vague de la mi-décembre donne Zemmour à 12 %, avec 15 % chez les hommes et 9 % chez les femmes. Le gender gap est donc ici considérable, 50 % des intentions de vote[2].

Mais le cas Zemmour ne doit pas occulter le reste.

Selon la même enquête d’Opinionway, le gender gap le plus spectaculaire, le même en proportion, mais portant sur un capital d’intentions de vote plus élevé, concerne Marine Le Pen : donnée à 16 %, elle recueille 20 % chez les femmes et seulement 12 % chez les hommes. Non seulement le FN-RN n’exerce plus d’effet repoussoir spécifique dans l’électorat féminin au premier tour, mais il le fidélise mieux que le masculin. De celui-ci, à comparer avec 2017, entre le quart et le tiers serait apparemment[3] « parti » chez Zemmour.

Au petit jeu des agrégats

Si bien que si l’on tient pour pertinent l’agrégat « extrême droite » constitué des intentions de vote cumulées pour Zemmour et Le Pen (agrégat adopté avec un bel ensemble et plus d’intention polémique que de questionnement critique par les sondeurs et les médias), il apparaît aussi qu’il n’y a pas de gender gap de ce côté de l’échiquier politique. Ou plutôt un petit gap à l’inverse de la présomption commune : 29 % d’intentions de vote chez les femmes et 27 chez les hommes.

Mais Zemmour ne prend pas qu’à Le Pen. Un autre gender gap associé à sa candidature, pour être moins profond n’en est pas moins intéressant. Zemmour a aussi pris des voix du côté des républicains, moins qu’à Le Pen, et moins en décembre qu’à son zénith sondagier de début novembre, mais la structure du vote Pécresse au 15 décembre en porte encore la trace : créditée de 17 % par Opinionway, elle n’est qu’à 15 % chez les femmes mais à 18 % chez les hommes. Il faut ici se souvenir qu’en 2017 le vote Fillon était majoritairement féminin.

Un des atouts de Pécresse dans cette élection sera d’être une femme si elle accède au second tour. Pas au premier, et d’en être une ne sera pas un handicap que si l’empêchement de la candidature Zemmour faute de signatures ramenait toutes les « républicaines » au bercail.

Au fait, pourquoi sont-elles parties chez lui plus nombreuses que les hommes ? Seraient-ils restés plus fidèles à Pécresse parce que c’est une femme séduisante, ou seraient-elles plus nombreuses à la délaisser parce que Zemmour incarne mieux la sécurité à laquelle elles aspirent ?

Et a contrario, qu’est-ce qui a démotivé tant de « gars de la Marine » ? Les plus ultras, les plus « fascistes », les plus machistes, à qui son recentrage a déplu ? Et qui naturellement lui préfèrent un intellectuel juif dont l’héritage politique revendiqué est le RPR Saison 1 ? Il y a zone de turbulence pour les stéréotypes du camp du bien…

Mais qu’en est-il à gauche ?

On l’a dit, le gender gap d’une gauche par présomption plus féminine parce que plus féministe est un lointain souvenir. Et aujourd’hui où toutes les candidatures de gauche ne présentent pas un niveau d’intentions de vote suffisant pour que l’observation par sondage de la répartition par sexe soit aussi pertinente qu’elle l’est à droite, le gender gap concerne pourtant encore un candidat, selon Opinionway : Mélenchon, avec 8 % chez les hommes et 10 % chez les femmes. Elles avaient été un peu moins nombreuses que les hommes à voter pour lui en 2017 (respectivement 19 et 20 %). Un relatif renversement, donc (probablement à mettre en relation avec l’écroulement électoral de LFI dans les classes populaires).

On ne peut résister ici à construire un autre agrégat, moins attendu, celui des intentions de vote pour Mélenchon et Le Pen. Car avec cette addition contre nature (horresco referens) apparaît un gender gap de belle allure : 30 % des femmes pour seulement 20 % des hommes, toujours sur la base des données Opinionway. Autrement dit, une forte apparence que le vote féminin est plus radical.


[1] https://www.opinion-way.com/fr/sondage-d-opinion/sondages-publies/politique/presidentielle-2022/2022.html

[2] Sous l’hypothèse valable à gros traits d’un nombre équivalent de votants des deux sexes, les inscrites étant plus nombreuses que les inscrits, et souvent plus abstentionnistes, mais pas en 2017…

[3] Les transferts de vote sont plus complexes que ça, mais un transfert direct important entre ces deux candidats est ici hautement vraisemblable.

2 réflexions sur ““Gender gap” politique, où en est-on ?

    • Vous vous trompez., Zemmoura un profil libéral-conservateur classique. Le terme « extrême-droite » qui lui est accolé par les médias mainstream pour le disqualifier n’a pas de fondement sérieux.
      Et le RN s’est largement recentré.
      C’est donc simplement un électorat de droite qui connaît des interférences liées au sexe
      Pas sûr mais pas impossible que ça tienne un peu à la prétendue misogynie de Z., qui relève cependant du procès d’intention.
      Pas sûr non plus que ce soit un phénomène très durable.

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