“Enlevé par son père”

Enlevéparsonpère_retLes 19 et 20 août 2016 s’est jouée une « alerte enlèvement » aux attendus bien à la mode du moment : un père, c’est dangereux.

L’« alerte enlèvement » diffusée le 19 août 2016 par le site gouvernemental Alerte-enlevement.gouv.fr a été largement relayée par les « partenaires médias » du « dispositif », selon le terme du ministère de la Justice.

Elle apprend au public que « Nathael, un jeune garçon de 9 ans, type européen, 1,25 m, corpulence mince, cheveux clairs, yeux noisettes, a été enlevé par son père ce matin entre 0h00 et 4h00 à Romenay (71) », qu’il est « vêtu d’un bas de pyjama et d’un tricot », et qu’il est « accompagné de son père ». De celui-ci, l’alerte livre les nom et prénom avec ce portrait : « 48 ans, type européen, cheveux longs poivre et sel, vêtu d’un jean et d’une chemisette à carreaux », précisant qu’il circule à bord d’une Citroën d’un ancien modèle dont il donne l’immatriculation (laquelle laisse à penser que le père réside ou a résidé dans le même département de Saône-et-Loire). Il est dit aussi que le père « est susceptible de se rendre dans le sud de la France ».

L’annonce est accompagnée d’une mauvaise photo de l’enfant, et, aussi peu légendée, d’une autre qu’on devine être celle du père en dépit d’une prise en plongée qui fait ressembler ce quadragénaire à une vieille femme.

Le texte laisse au public le soin de supposer que cet homme, dont la qualité paternelle n’est ni qualifiée ni déniée, est de quelque façon privé ou déchu de son autorité parentale, et que celle-ci est exercée en totalité par la mère. Ou que l’enfant aurait été placé sous une tierce tutelle. On apprendra le 20 août par Le Monde.fr que selon le maire de Romenay, qui « a assuré ne pas connaître la famille de cet enfant (…), le garçonnet n’était pas scolarisé dans la ville et était vraisemblablement en vacances chez des proches ». Pour Europe 1, il était chez ses grands-parents…

Revenons au père. S’agit-il d’un dangereux psychotique, s’est-il rendu coupable par le passé de violences à l’égard de l’enfant ou de sa mère ? On ne sait pas. Mais on peut imaginer que sa dangerosité allait de soi pour l’administration, qui a lancé l’alerte dès qu’elle a été saisie du fait (le texte dit « enlevé par son père ce matin »…). Quelle réactivité. Il ne faut pas seulement, pour ce résultat, que l’auteur de la saisine ait été aussi motivé qu’avisé de ses droits, comme pourrait l’être une mère s’appuyant sur une décision de justice qui l’a confirmée dans ses droits parentaux exclusifs ; il faut que le dossier ait été bien connu des services compétents.

Cependant, si l’administration affirme que l’enfant est « accompagné de son père », n’est-ce pas qu’elle écarte l’éventualité que celui-ci ait eu la folie criminelle de faire un mauvais sort à son fils ou seulement l’inconséquence de l’abandonner après l’avoir enlevé ? On tendrait là à penser plutôt que le père ne constitue pas un danger pour l’enfant. Sauf qu’un des cinq critères requis pour motiver une « alerte enlèvement » est que « l’enfant doit être en danger »[1]. L’administration aurait-elle pu manquer à ses propres critères ?

On n’ose pas le croire, aussi on s’étonnera qu’elle se montre si négligente à illustrer ce danger. Son dossier sur le potentiel prédateur et sa potentielle victime serait-il peu documenté ? À en juger par la qualité des photos, il sent un peu l’improvisation. Mais nous disions que ce dossier familial devait être solidement connu des services compétents, pour qu’ils aient réagi si vite. Alors… La Justice supposerait-elle qu’un enfant est en danger du seul fait qu’il est en compagnie de son père ?[2]

L’« alerte enlèvement » du 19 août laisse l’impression que l’administration s’en remet à la photo du père pour illustrer le danger que court l’enfant. Là, le cliché social joue à plein. La photo, on l’a dit, n’est pas flatteuse pour cet homme encore jeune quoique elle soit sans mise en scène et semble avoir été produite faute de mieux, mais  elle contient un indice imparable de sa mauvaise vie : il tient une cigarette. Qu’il a lui même roulée : en plus, il est fauché…

Est-ce sur ce fondement que la Justice pense alarmer le public, pour que tout un chacun, avisant à la terrasse d’un café un garçonnet de neuf ans qui donne du « papa » à un quadragénaire chevelu, n’ait rien de plus urgent à faire que de sonner la gendarmerie ? Parce qu’un père à l’aspect un peu marginal serait sur la route du « Sud » pour avoir décidé d’enfreindre une décision de justice consécutive à un divorce en vue de passer quelques jours avec le fils dont il n’a pas la garde – motivé peut-être par le fait que la fête du petit Nathael tombe le 24 août ?[3]

Concluons. Si l’enfant est vraiment en danger, cette « alerte » est sotte et inconséquente. S’il ne l’est pas, elle est un dérapage administratif dans le prolongement d’une querelle de garde comme il y en a mille, et il faut s’interroger sur ses attendus et ses sous-entendus : ils sont sexistes et discriminatoires.

Le 20 août en début d’après-midi, Alerte-enlevement.gouv.fr publie ce communiqué : « Fin de l’Alerte Enlèvement. L’enfant a été retrouvé en bonne santé[4]. Les photos ne doivent donc plus être diffusées. Merci à tous. » 

Et libre à tous de supputer le caractère de cet « enlèvement »[5].

[1] Le site gouvernemental précise : « le terme “d’enlèvement” repris dans la convention mettant en place le plan Alerte Enlèvement comme étant l’un des critères du déclenchement de l’alerte ne se limite pas aux comportements réprimés par les articles 224-1 et suivants du code pénal. Il peut s’agir également de la soustraction d’un mineur par un ascendant au sens de l’article 227-7 du code pénal ou même de la soustraction d’un mineur sans fraude ni violence au sens de l’article 227-8 du code pénal ». Et d’ajouter, cette formule alambiquée: « L’essentiel (sic) est que cette situation “d’enlèvement d’un mineur” doit se combiner avec les deux autres critères du plan Alerte Enlèvement (danger pour la victime et existence d’éléments d’enquête pouvant être diffusés). » L’« essentiel » visé ici touche à ce qui justifie la publication de l’alerte, et non ce qui étaie le constat de l’enlèvement.

[2] On n’apprendra qu’à l’issue de l’affaire que « le père, fragile psychologiquement, avait déjà enlevé son fils une première fois en 2012, dans le Vaucluse, dans le cadre d’un divorce difficile. L’enfant n’avait été retrouvé que trois mois plus tard. » (http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/08/20/alerte-enlevement-pour-un-garcon-de-neuf-ans-en-saone-et-loire_4985290_1653578.html#SgZlHXp0X06O3yKH.99).

[3] Sur la page du site intitulée « Sensibilisation des publics », le ministère développe diverses mises en garde à l’endroit des enfants et de leurs parents, visant une situation où les premiers seraient potentiellement ou effectivement confrontés seuls à des inconnus. En avant de ce propos vient cette remarque principielle : « Aujourd’hui nous savons que cette mise en garde n’est plus suffisante dans la mesure où l’expérience nous a montré que la plupart des enfants enlevés, le sont par des proches ou des gens qu’ils connaissent (famille, amis des parents, etc.) » Et les parents eux-mêmes ? Le père seulement ? Pourquoi ne pas l’écrire ?

[4] Près du lieu de son enlèvement ; point de « sud » donc.

[5] On saluera la probité journalistique du Journal de Saône-et-Loire qui a écrit prudemment au conditionnel : « Nathael, 9 ans, aurait été enlevé par son père à Romenay ». Et on ajoutera à la décharge des « partenaires médias » d’Alerte Enlèvement que la plupart se sont abstenus de publier le nom du père de l’enfant dont l’administration a fait étalage.

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