Analyse des emplois et mise à l’index

Analyse des emplois et mise à l’index

Sous-texte des récentes mesures d’égalisation autoritaire des rémunérations femmes-hommes, l’« analyse des emplois en valeur comparable » a dévoyé une méthode de défense ouvrière en outil de management et de contrôle de la masse salariale.

La « loi Penicaud » du 5 septembre 2018[1] et ses dispositions visant à « mettre en œuvre un ensemble de mesures visant à supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes dans l’entreprise » (article 104) ont trouvé une traduction pratique (si l’on peut dire s’agissant d’une usine à gaz) dans un « index de l’égalité femmes-hommes »[2] qui fait la fierté et la teinte de gauche du macronisme. Ce texte revisite le principe « à travail de valeur égale, salaire égal » par une métaphysique de la « valeur » qui escamote dans un ensemble obsessionnel de contraintes légales tant le travail que le travailleur. En attendant qu’il soit loisible d’en tirer un début de bilan, une chose déjà est sûre : dans la confusion des ordres, l’ange de l’analyse en valeur comparable a commencé de faire la bête.

Depuis des années, la négociation collective syndicats-patronat a intégré en France, à une fréquence et des niveaux divers selon les branches et les organisations, Lire la suite

Du rail et du genre

Du rail et du genre

Avec sa réforme de la SNCF, l’État institue une discrimination salariale qui viole les principes qu’il revendique ailleurs. Mais seulement ailleurs.

La ministre du Travail Muriel Pénicaud a présenté le 27 avril en conseil des ministres le « Projet de loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel » par lequel elle entend traiter entre autres sujets « l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes », associée à la « lutte contre les violences sexistes et sexuelles », en vertu de l’amalgame devenu habituel dans toutes les politiques publiques. Il s’agit donc de « passer d’une obligation de moyens à une obligation de résultats sur les écarts de salaires injustifiés », écarts que la ministre évalue à 9 % « à poste égal ou de valeur égale » (selon la mystérieuse notion de « valeur égale » figurant au L. 3221-2 du Code du travail). Pour y aboutir, les entreprises de plus de cinquante salariés seront tenues en 2020 d’utiliser un logiciel ad hoc qui comparera les salaires en fonction de l’entre-jambes.

Quelques jours plus tôt, le « projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire » défendu par la ministre des Transports Élisabeth Borne était adopté par l’Assemblée nationale. L’exposé de ses motifs précise « l’ordonnance devra donner l’opportunité de rénover la gestion de l’emploi, (…), sans remettre en cause le principe de l’unité sociale du groupe public ferroviaire » et que « dans ce cadre » sera « confirmé l’arrêt des recrutements au statut des nouveaux agents ». Une chose et son contraire, donc, Lire la suite

Écart de salaire et risque sanitaire (dans l’inconscient féministe des journaux)

Écart de salaire et risque sanitaire (dans l’inconscient féministe des journaux)

Quand il s’agit du catéchisme des inégalités-de-genre-au-travail, la presse économique de référence a des références trop pressées.

Dans leur édition du 14 juin 2017, les Échos publient un discret mais éloquent téléscopage des implicites féministes qui formatent les esprits.

Page 4, un article consacré à l’embauche des jeunes diplômés des grandes écoles se conclut, après l’intertitre alarmiste « Inégalité hommes-femmes », par le constat hâtif que dans la « promotion 2016 des diplômés l’écart de salaire entre un homme et une femme diplômés de la même école de management est de 2 000 euros ». Ce qui ne fait qu’enregistrer un effet structurel des différences de fonctions auxquelles les jeunes managers de l’un et l’autre sexe ont choisi de postuler – plus commerciales et financières pour les hommes, plus juridiques et marketing pour les femmes –, alors que les perspectives de gain y sont diverses (pour des raisons propres au génie du capital et on ne peut plus indifférentes à l’entrejambe), est proposé par la rédactrice à l’indignation du lecteur en suggérant qu’il y a là « inégalité » de traitement à travail égal. Quand il n’est pas égal.

Sur le sujet, les journaux sont pleins de ces raccourcis, mais il était particulièrement plaisant, ce 14 juin, de trouver en vis-à-vis page 5 dans le même quotidien le chapô d’un papier « santé » sur le risque cancérigène auquel les salariés sont exposés : « Les hommes et les ouvriers sont les plus concernés. » Le texte qui suit le précise : 75 % des salariés exposés sont des hommes. Mais là, le rédacteur ne tombe pas dans le piège du raccourci ; il n’est pas question d’« inégalité » au détriment des hommes. Qui pourrait concevoir pareille idée ?

Pourtant, toute pondération considérée (proportion d’actifs par sexe, etc.), le fait que les hommes occupent plus que les femmes les professions les plus dangereuses résulte bien plus, s’agissant d’ouvriers, de contraintes qui les dépassent que d’un choix de carrière. Surtout si l’on compare les parts respectives pour eux de l’appétence et de la contrainte avec les positions sur le marché du travail de jeunes manageuses fraîchement émoulues d’une ESC.

Suggérons aux deux journalistes des Échos une enquête à quatre mains sur ce thème : comment se fait-il que les hommes occupent plus que les femmes à la fois les professions les plus lucratives et les plus dangereuses (pour la santé ou l’intégrité physique) – qui sont parfois mais rarement les mêmes –, et occupent aussi les plus lucratives parce que les plus associées à une prise de risque (hors risque sanitaire) ?

Jean-Claude Kaufmann, sociologue du demi-couple

Jean-Claude Kaufmann, sociologue du demi-couple

Avec Piégée dans son couple, le « sociologue de l’intime » fait preuve d’une tranquille, sinon étonnante désinvolture.

Parce qu’il a eu « beaucoup de mal à trouver des témoignages d’hommes » (le Figaro du 18 mars 2016), Jean-Claude Kaufmann bat l’estrade avec un essai sur le couple[1] où il n’appuie son propos que sur celui des femmes. Lire la suite

Le « Quart en moins » ou l’enfarinage

Le « Quart en moins » ou l’enfarinage

Le « quart », selon les années et les points de vue 25 à 30 %, qui manquerait au salaire féminin par rapport au salaire moyen masculin, est dans les représentations comme la tête de l’hydre qui repousse chaque fois que l’examen critique la réduit.

On peut bien objecter (ou concéder, la doxa s’y résout nolens volens) les facteurs structurels qui l’expliquent – et à notre sens la réduisent à rien –, c’est toujours le chiffre magique de la moyenne globale qui revient à la surface du bruit médiatique, jaillissant sous la plume du sociologue biaiseux ou du journaliste pressé, pour illustrer tel ou tel aspect de la distribution de l’emploi ou des comparaisons femmes-hommes.

Ces facteurs structurels, Rachel Silvera, qui a publié Un quart en moins[1], en reconnaît avec d’autres auteurs un bon nombre : temps de travail, rémunération spécifique aux heures supplémentaires, catégories d’emploi, qualification, secteur d’activité, taille de l’entreprise… Et comme autant d’auteurs néglige de chercher les autres, pour aboutir à un taux de « 9 % de l’écart salarial » qui demeurerait « inexpliqué »[2].

Le « quart en moins » n’est pas un fait, mais seulement le résultat d’un arrêt contingent de la lecture à un moment – la moyenne globale – de la représentation statistique. Lire la suite

Facteurs structurels négligés – 6. La fatigue du travail

Facteurs structurels négligés – 6. La fatigue du travail

L’impact des interruptions de carrière associées à la maternité sur le salaire féminin est fréquemment avancé, à raison, pour sa contribution aux écarts moyens constatés entre les femmes et les hommes. Ce qui est moins recherché, ce sont les considérations, contraintes et motivations qui sous-tendent ces interruptions.

Volontaires ou subies, les réductions d’activité des salariées ? Les données tirées du « module complémentaire » de l’enquête Emploi 2010 de l’Insee tendent[1] à montrer que les interruptions de carrières ou réductions d’activité, qui touchent une femme sur deux après une naissance, sont au premier chef,  bien avant les problèmes de garde, motivées par l’idée que les mères se font du bien de l’enfant et par le désir de se consacrer à son éducation.

Mais derrière l’apparente unité des motivations, la stratification sociale joue fortement. Chez les employées et ouvrières (ou classes de diplômes CEP à bac), Lire la suite

« WomanTax” : égarements et dévoiement

Militante GeorgetteLa DGCCRF serait sur les dents. Le cabinet du ministre de l’Economie a en effet annoncé avoir lancé ce 3 novembre 2014 une enquête visant à savoir si pour un même produit ou service les femmes paient plus cher que les hommes. A l’origine de cette fière annonce, un des innombrables et interchangeables « collectifs » féministes qui courent le coup médiatique, les « Georgette-Sand ».

Passé le premier rire ou le haussement d’épaules, à la vue de la une du Parisien, la confirmation, dans les heures qui ont suivi, que l’État prenait au sérieux la querelle d’une bande de copines qui font leurs courses chez Monop’ appelle quelque remarques, et questions.

Prétendre qu’il y a discrimination du fait qu’un rasoir rose coûte plus cher de quelques centimes qu’un rasoir bleu, comme si les consommateurs en situation de l’acheter étaient considérés selon leur sexe, est un curieux procès à l’endroit tant des commerçants qui diffusent ces produits que de ceux qui les fabriquent. En fait, on ne sait pas trop à qui le procès est intenté ; le bonheur de la dénonciation l’emporte sur le souci de qualifier l’imputation.

Tant pis si la femme ou l’homme qui fait les courses est susceptible d’acheter indifféremment des produits « féminins » ou « masculins », si des écarts de prix relatifs à des produits dont on ne peut présumer qui en sera l’acquéreur – même si on devine le sexe de leur utilisateur (pour autant qu’ils ont été ciblés) – ne constituent en rien une discrimination.

Pourquoi ne pas aller au bout ? C’est le marketing qui est en soi une entreprise de discrimination, et il faut blâmer aussi les fabricants de jouets de pratiquer une discrimination par l’âge.

Les Français seraient ignorants en économie ; et voilà que l’État les encourage à ignorer que, derrière les produits, les « unités de besoin » diffèrent souvent d’un sexe à l’autre. Faut-il douter de la physionomie des Georgettes au point de rappeler, à propos de ce pauvre rasoir, les parties du corps qui, dans un cas où dans l’autre, appellent son usage ?

Et l’État feint-il d’ignorer que les entreprises assurent leur bénéfice en jouant de la marge ou du volume, selon que les volumes sont plus ou moins élevés, les produits plus ou moins concurrencés, la clientèle plus ou moins fidèle à une marque, etc. Les rasoirs roses ne coûtent vraisemblablement pas beaucoup plus cher à produire que les bleus, mais s’il s’en vend moins, ils sont plus chers. Si l’on compare d’autres produits sexués comme les crèmes hydratantes, on constatera sans doute un effet symétrique (offre et clientèle plus étroites côté masculin, et positionnement décalé vers le haut de gamme…), effet qu’on se gardera d’appeler « man tax ».

Ah oui, dira Georgette, mais les coiffeurs ? Les coiffeurs et les coiffeuses sont des personnes qui travaillent. Combien de temps passe Georgette entre les mains du coiffeur ? La DGCCRF va-t-elle planquer dans les salons de coiffure pour découvrir qu’Alfred en a fini en vingt minutes et Georgette en quarante ?

Belle campagne que celle qui tend à accréditer l’idée que le temps de travail est indifférent à la valeur des services et des produits ! Mais campagne bien en phase avec les attendus d’un certain consumérisme. La valeur du travail des autres, ça ne compte pas. Seule compte la fièvre consommatrice de Georgette.

Et son pouvoir d’achat contrarié par la « woman tax »

Qualifier de « taxe » les écarts de prix entre des produits soumis aux mêmes impositions est un abus de langage auquel les pouvoirs publics, sinon les « collectifs », devraient s’épargner de succomber. D’autant plus que la disparition revendiquée de cette prétendue taxe, sous couvert de mise à niveau des prix entre produits « genrés », prendra évidemment la forme d’une demande de baisse des produits roses plutôt que de hausse des produits bleus. Pour Georgette, ça va de soi. Pas pour celles et ceux qui fabriquent ce qu’achète Georgette. Le même jour où le Parisien titrait sur la « woman tax », les Echos mettaient en une le spectre de la déflation et le syndrome japonais qui menacent l’Europe…

Il est peu probable qu’à Bercy on ignore tout de ces circonstances. Mais y aurait-on oublié, au fait, que les prix à la consommation, jusqu’à plus ample informé, sont libres, depuis l’ordonnance du 1er décembre 1986 ? Cela relèverait de l’inconséquence – à moins qu’on n’y prépare une nouvelle ordonnance sur le sujet, ou un projet de loi Georgette ?

Qu’un ministre qui fut cosignataire d’un « rapport sur les freins à la croissance » et qui ne fait pas aujourd’hui mystère de l’inquiétude que lui inspirent les tendances déflationnistes à l’œuvre sur les marchés, se laisse circonvenir par une démagogie de ce tonneau est un aveu de faiblesse préoccupant.

Il est peu vraisemblable, bien sûr, qu’il en soit dupe, mais le cas alors est plus grave. Grave que devant n’importe quelle récrimination de n’importe quel groupuscule féministe la raison rende les armes. Et qu’elle ne les rende pas sans inconvénient même pour ce ministre, puisque sa reddition affecte directement les moyens dont il a la charge et les priorités politiques qui sont les siennes.

La DGCCRF, principale administration de contrôle dans le domaine de l’économie, est-elle si dépourvue d’occupations en ce moment, ou dispose-t-elle d’effectifs soudain si généreux, pour que sa tutelle lui confie une enquête sur cette querelle de muscadines ?

Il s’agit en somme de savoir au détriment de quelles missions les ressources de cette administration vont être dévoyées : la lutte contre la tromperie sur les sites de e-commerce, la sécurité des produits, le non-respect des délais de paiement, la sous-traitance pressurée par la course aux prix bas, les prix agricoles, les clauses abusives (liste non exhaustive, voir pour complément http://www.economie.gouv.fr/dgccrf) ?

Par curiosité, bien sûr.

La querelle du ménage – 7. Programme pour une étude de la “sociabilité” comme tâche

La querelle du ménage – 7. Programme pour une étude de la “sociabilité” comme tâche

Qui dans le couple détient la prééminence sur les relations familiales, amicales ou vicinales avec les tiers ?

À en croire la nomenclature de l’Enquête sur les relations familiales intergénérationnelles (Erfi) et sa rubrique « organisation de la vie sociale du ménage / invitations »)[1], la sociabilité du ménage reposerait principalement sur les femmes, et représenterait pour elles une « tâche » de plus. Il faut entendre ici la sociabilité dans sa plus grande extension, incluant les relations à l’intérieur de la famille au sens large, avec les ascendants, collatéraux et leurs lignées, les relations amicales et vicinales (voisins de résidence ou de quartier, parents d’élèves, etc.).

Que signifient le fait que les femmes revendiquent en la matière (Erfi est une enquête « déclarative ») une prééminence que les hommes ne semblent pas leur disputer ? Lire la suite

La querelle du ménage – 6. Eikoanomia (du gaspillage alimentaire)

La querelle du ménage – 6. Eikoanomia (du gaspillage alimentaire)

Égalité civile, société de consommation, mode de vie urbain, taux d’activité élevé des femmes : la conjonction de ces facteurs et d’autres traits des sociétés industrielles et postindustrielles a depuis longtemps réuni les moyens d’un ébranlement sans retour de la famille patriarcale, celle-là même dont le féminisme dénonce la perpétuation avec la thèse de l’« assignation » aux tâches ménagères.

L’observation de la préparation des repas ne porte guère à souscrire à cette thèse fantasmagorique. Bien sûr, l’Enquête sur les relations familiales intergénérationnelles (Erfi) relève que les hommes ne s’y impliquent que par intermittence[1]. Mais en valeur absolue le temps qu’y consacrent les femmes a beaucoup diminué au cours des dernières décennies. Lire la suite

Du féminisme managérial – II. L’horreur de la beauté

Les féministes  se plaignent de leur « assignation » à l’apparence pour dissimuler un avantage relatif dans la course l’avancement des carrières.

À propos du travail, c’est une banalité d’entendre ou de lire parmi les récriminations féministes que les femmes engagées dans la vie professionnelle, c’est-à-dire la plupart d’entre elles, s’y voient « assignées à leur sexe », et « continuellement renvoyées à la sphère privée » de leur corps et de leur apparence[1]

L’argument est particulièrement prisé par celles des féministes qui exercent une profession libérale, Lire la suite

La querelle du ménage – 4. Option sécurité – Stratégies matrimoniales et écarts d’âge

La querelle du ménage – 4. Option sécurité – Stratégies matrimoniales et écarts d’âge

Passage à temps partiel, cessation temporaire, renoncement à une démarche d’avancement de carrière, et différenciation accentuée de l’investissement dans les activités domestiques… Pourquoi les naissances dans un couple d’actifs vont-elles porter à un arbitrage des revenus statistiquement « défavorable » aux femmes, alors qu’il résulte d’une décision commune et également libre ?

Les femmes sont souvent plus jeunes que leur compagnon dans l’avancement de leur carrière, parce qu’elles sont plus jeunes en âge d’autant. Dans huit cas sur dix, l’homme est plus âgé, et dans ce cas l’écart est plus important que lorsque c’est la femme qui est plus âgée[1].

L’écart d’âge entre les deux partenaires au mariage ou à l’union libre, voisin de deux ans en moyenne, est très stable sur une longue période d’observation (statistiques Insee établies depuis 1946) et assorti d’une relativement faible dispersion sociale, sinon – ce qui n’est pas indifférent – sous le critère du diplôme et du niveau de revenu (écart moindre entre hauts diplômés qui se sont rencontrés au sein d’une même classe d’âges, sur les bancs de l’Université pour faire court ; écart supérieur parmi les classes populaires où l’univers du travail, brassant les classes d’âges, ainsi que les lieux tous publics jouent un rôle plus éminent dans le choix du conjoint.)

Les stratégies matrimoniales aussi prédisposent au « sacrifice » partiel de la carrière. S’il est permis de douter que les hommes aient la haute main sur le marché du travail, il est moins douteux que les femmes ont la prééminence sur le marché conjugal. Lire la suite

La querelle du ménage – 3. Activité professionnelle, activités domestiques

La querelle du ménage – 3. Activité professionnelle, activités domestiques

La complainte de l’inégalité des tâches ménagères (inspirée par l’enquête Erfi) est entonnée dans une caverne. D’où ne s’aperçoivent pas les facteurs clés que sont le taux d’activité professionnelle et le volume d’heures que cette activité immobilise.

Les conclusions des études tirées d’Erfi négligent, on l’a vu, les effets de structure qui sous-tendent les résultats bruts apparents. Ce n’est pourtant pas faute que le principal ait été isolé. Deux études publiées en 2009 et 2010 [1] le concèdent, non sans réticence : le taux et le niveau (temps plein ou partiel) d’activité professionnelle. Ce sont eux qui déterminent le temps de présence à domicile des « personnes en couple cohabitant, dont la femme est âgée de 20 à 49 ans », selon l’intitulé Erfi.

Ces indicateurs de taux d’activité seraient encore plus éclairants, rapportés aux données déclaratives de l’enquête, en effet, s’ils étaient complétés par la comparaison des heures dépensées en transport pour se rendre au travail. Lorsque les deux conjoints sont actifs, Lire la suite

La querelle du ménage – 2. La pointeuse d’EDT et ses réglages

La querelle du ménage – 2. La pointeuse d’EDT et ses réglages

Une autre enquête épisodique, menée depuis 1966, supplée quelques-unes des faiblesses d’Erfi, non sans soulever d’autres questions. L’Enquête Emploi du temps (« EDT »)[1] de l’Insee menée en 2009-2010 livre, elle, des durées brutes dans l’évaluation des « temps sociaux quotidiens ».

La population de référence d’EDT est toutefois bien différente de celle d’Erfi : limitée aux femmes et hommes de 15 à 60 ans, hors étudiants et retraités, elle inclut les personnes vivant seules et les familles monoparentales (ce qui constitue un biais structurel de nature à fausser en partie l’interprétation de certains résultats, puisque les familles monoparentales avec enfants concernent principalement les femmes).

Comme l’indique le concept de « temps sociaux quotidiens », EDT n’est pas centrée sur le seul temps domestique et dépend moins, dans ses évaluations, du regard des acteurs sur eux-mêmes, ce qui tend à la rendre plus robuste qu’Erfi, tout en visant à plus de précision dans la décomposition de la partie « temps domestique » (où la nomenclature distingue une quarantaine de postes). Toutefois, l’affirmation que le recours au « carnet » permet d’« évaluer objectivement le temps passé aux tâches domestiques car il n’est pas demandé à la personne d’estimer cette durée elle-même »[2]n’emporte pas tout-à-fait la conviction. Lire la suite

La querelle du ménage – 1. Les montres molles d’Erfi

La querelle du ménage – 1. Les montres molles d’Erfi

 « Nous assumons l’immense majorité des tâches ménagères », écrivaient en 2011 les « 343 » de Libé [1] . Avec la tâche ménagère on touche au noyau dur de la complainte féministe, à ce qui repose sur le plus large consensus, et sur les études les moins discutées. Celles qui méritent par conséquent le plus de l’être. La présente section s’appuie sur les deux principales enquêtes récurrentes, émanant d’organismes publics, qui abordent le sujet, et sur des travaux qui en sont dérivés : l’Étude des relations familiales et intergénérationnelles (Erfi) et l’enquête Emploi du temps. Brèves histoires de temps. Le présent article traite de la première.

L’Étude des relations familiales et intergénérationnelles (Erfi, Ined-Insee)[2], l’une des principales sources, avec l’Enquête emploi du temps de l’Insee, des travaux sur les tâches ménagères et familiales, est menée parmi les personnes vivant en couple. D’emblée, il faut souligner, à l’encontre de l’utilisation partisane outrée qui peut en être faite, que les résultats qu’elle livre invalident l’expression « immense majorité » du manifeste des « 343 ». Des « tâches ménagères » dont elle examine la distribution entre conjoints (« préparation des repas », « vaisselle », « aspirateur », « repassage », « tenue des comptes », « courses alimentaires », ainsi qu’une mystérieuse rubrique « organisation de la vie sociale du ménage / invitations »), seul le repassage est selon elle un attribut exclusif pour une très nette majorité (66 %) de femmes. Les autres sont à forte participation masculine, même si cette participation paraît intermittente pour la « tâche » repas.

Reste que l’enquête Erfi est trompeuse, parce que portée à sous-estimer les contributions domestiques (ménagères et parentales) des hommes [3]. Cette sous-estimation est le produit de biais tenant à la fois aux conditions et aux présupposés de l’enquête, à ce qu’elle met en avant et à ce qu’elle ignore. La mesure est faussée, mais de façon univoque.

Biais de conditions d’enquête

Réalisée auprès d’un échantillon presque paritaire[4], Erfi est une enquête de type « déclarative ». Elle se fonde sur des entretiens, menés selon un protocole invariable, qui favorisent les interférences dues à l’appréciation subjective. Son exploitation ne fait pas, chez ses commentateurs, l’objet de recoupements avec d’autres sources.

Les déclarations reflètent-elles fidèlement les pratiques ? C’est tout le présupposé d’Erfi, Lire la suite

Le plafond de verre et autres fables – 1. Impossible discrimination

Disparité, inégalité, discrimination au travail : de ces glissements de sens ad hoc, l’idéologie fait son miel.

L’égalité salariale des sexes est dans le droit et nul ne la conteste, mais il est utile au féminisme de faire accroire que la contrecarre une hostilité résolue. Pour la briser, il en appelle à la férule de l’État : « Des mesures doivent être prises rapidement, écrivaient ainsi les 343 pétitionnaires du « manifeste » du 2 avril 2011, pour garantir l’égalité dans l’emploi, en faisant reculer la précarité du travail des femmes et en imposant l’égalité salariale. » Quelles mesures ? On devine qu’il faudra-faire-en-sorte-que. Et l’on note que la précarité du travail n’appelle pas en soi de « mesures », si elle ne touche spécialement les femmes – comme si aucune ne souffrait aussi de la dévalorisation des tâches, de la déflation salariale, de la fragilisation contractuelle qui affectent leurs parents ou compagnons.

« Nous touchons, poursuivaient les « 343 » de 2011, des salaires ou des retraites largement inférieurs à ceux des hommes. » L’affirmation ne s’étaie de rien, mais un manifeste n’est pas le lieu de détailler. Voyons alors l’implicite, largement développé par d’innombrables publications militantes (OLF et autres groupes ultra) ou institutionnelles (directions ministérielles, Université, organismes ad hoc…), les unes et les autres ne différant que par le ton qui sied à leur position de discours.

Cet implicite, donc, consiste pour l’essentiel à agiter des chiffres puisés à la grosse louche des « femmes-en-moyenne » ou des « femmes-cadres-en-moyenne », de les opposer à autant d’hommes moyens[1], et d’exhiber ces marionnettes en toute négligence des effets de structure (temps de travail, durée des carrières, secteur, taille de l’entreprise, ancienneté, qualification, nonobstant ceux que néglige l’appareil descriptif mobilisé, en particulier pour ce qui concerne les qualifications, cf. infra.) par quoi s’expliquent les écarts de salaires en moyenne – et dont les combinaisons opèrent à tous niveaux de finesse du marché du travail.

L’Insee, qui publie en bonne rigueur les chiffres que rebat ad nauseam l’idéologie féministe, plutôt que d’inégalités parle de « disparités de salaire ». Ce n’est pas la même chose. Entre les deux, hors effets de structure observés, se tient ce qui (par hypothèse à ce stade) serait résiduellement du domaine de la discrimination, ce qui contreviendrait au principe à travail égal, salaire égal[2].

7 % et non 30

La distribution disparate des hommes et des femmes entre les emplois et niveaux de qualification constitue ces effets de structure, qui font écrire à l’Observatoire des inégalités[3], partant d’un écart moyen des salaires de 27 % (de moins pour les femmes), chiffre ramené ensuite à 19 % (en équivalents temps pleins) puis à moins de 10 % (à équivalence de postes, qualifications, secteurs), que « la discrimination pure est sans doute de l’ordre de 6 ou 7 % » (à équivalence de diplôme, longueur de carrière, situation familiale). Encore rien ne permet-il de dire que ces 7 % n’abritent pas d’autres facteurs structurels négligés (le taux d’encadrement ou l’âge de l’entreprise, par exemple). Ni que, quoi qu’en écrive le dit Observatoire, toutes choses égales par ailleurs et en l’absence de tout effet de structure, une différence de salaire entre deux salariés résulte forcément d’une discrimination – qui suppose une volonté–, ni que, le cas échéant, le sexe en est le seul critère ou même le principal.

Il se pourrait d’ailleurs, à l’inverse, que d’éventuelles inégalités sinon des discriminations par le sexe, dans cette bouteille à l’encre des « 6-7 % », soit sous-estimées, en cela que les « 27 % » d’écart en moyenne générale, tous effets de structure inclus, résultent d’un calcul où agissent aussi des inégalités de salaires à l’avantage des femmes.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas autour de ces 7 % que les ultras parlent de « discriminations », mais des 27 %, plus propres à susciter l’indignation, surtout arrondis par commodité à 30 %. Tel est le papillon statistique dont les médias contemplent le plus souvent les ailes.

Oui, mais le temps partiel subi ? Qu’il y en ait est indéniable, qu’il touche les femmes plus que les hommes, hautement vraisemblable (encore que cette précarité ait son pendant dans l’intérim, principalement masculin), mais que cette différence résulte forcément d’une discrimination, cela n’a pas de sens. Quelles sont les situations d’embauche où un employeur, pour une série de postes à temps partiel à pourvoir, voyant se présenter un homme, déciderait de faire exception pour lui et de lui proposer un temps plein ? En réalité, de même que des emplois traditionnellement masculins se féminisent, des emplois réputés féminins s’ouvrent aux hommes, tandis que la précarité et la contrainte des contrats courts gangrènent l’ensemble des bas échelons du salariat, sans plus de considération de sexe – et en tout cas bien moins que de considérations d’âge.

Rien d’étonnant alors si c’est en haut de l’échelle que les écarts de salaires, en moyenne toujours, sont les plus importants – de l’ordre de 30 %, nous dit l’Observatoire – et parmi les employés, « catégorie majoritairement féminisée », qu’ils sont les plus faibles.

Questions éludées

L’Observatoire des inégalités ne se risque pas à explorer l’hypothèse que ce pourrait être aussi parmi les cadres que la « discrimination pure » joue le moins, puisqu’y prévalent davantage qu’en bas de l’échelle la définition précise et la moindre interchangeabilité des postes et des titres. Ni l’hypothèse complémentaire que ce pourrait être parmi les employés que la « discrimination pure » joue le plus (puisque ces emplois sont moins spécialisés que les emplois ouvriers, et partant moins exposés aux effets de structure associés aux qualifications). Cela risquerait fort d’établir qu’il n’y a pas de rapport de causalité entre inégalités statistiques et discrimination.

La moindre représentation des femmes en moyenne des emplois les mieux rémunérés (pas dans tous, certains étant même principalement féminins) ne signifie pas qu’il y ait différence de traitement, inégalité entretenue, entre celles et ceux qui les occupent. Leur moindre accès peut résulter davantage d’une moindre propension que d’une barrière à l’entrée à laquelle se heurteraient celles qui seraient susceptibles de les occuper. Mais cette éventualité n’est à peu près jamais prise en considération dans les études d’emploi et de mobilité portant sur les cadres, et a fortiori sur les autres catégories – ce qui est fort dommageable pour les observatoires de tout poil, puisqu’ils se privent aussi par là de connaître le nombre de vocations féminines injustement contrariées, dans le bâtiment par exemple.


[1]  « L’homme moyen », né vers 1835 du dilettantisme pré-sociologique du mathématicien Adolphe Quételet, a été tout le XXe siècle l’une des pierres de touche des systèmes de pensée totalitaire. Le féminisme, idéologie négatrice du genre humain, n’y déroge pas, quoiqu’il réactive le plus souvent l’homme moyen non comme modèle mais comme faire-valoir négatif.

[2]  L’Insee cède pourtant lui-même au tropisme idéologique dominant quand il écrit qu’« en 2008, une femme travaillant à temps complet gagne en moyenne 19,2 % de moins que son homologue masculin ». Une employée de banque a un homologue, qui gagne plus, autant ou moins qu’elle, c’est à voir. Mais un artefact statistique comme la femme moyenne n’a pas d’homologue.

[3]  www.inegalites.fr/spip.php?article972, source Insee, « déclarations annuelles des données sociales ».