La querelle du ménage – 7. Programme pour une étude de la “sociabilité” comme tâche

La querelle du ménage – 7. Programme pour une étude de la “sociabilité” comme tâche

Qui dans le couple détient la prééminence sur les relations familiales, amicales ou vicinales avec les tiers ?

À en croire la nomenclature de l’Enquête sur les relations familiales intergénérationnelles (Erfi) et sa rubrique « organisation de la vie sociale du ménage / invitations »)[1], la sociabilité du ménage reposerait principalement sur les femmes, et représenterait pour elles une « tâche » de plus. Il faut entendre ici la sociabilité dans sa plus grande extension, incluant les relations à l’intérieur de la famille au sens large, avec les ascendants, collatéraux et leurs lignées, les relations amicales et vicinales (voisins de résidence ou de quartier, parents d’élèves, etc.).

Que signifient le fait que les femmes revendiquent en la matière (Erfi est une enquête « déclarative ») une prééminence que les hommes ne semblent pas leur disputer ? Lire la suite

La querelle du ménage – 4. Option sécurité – Stratégies matrimoniales et écarts d’âge

La querelle du ménage – 4. Option sécurité – Stratégies matrimoniales et écarts d’âge

Passage à temps partiel, cessation temporaire, renoncement à une démarche d’avancement de carrière, et différenciation accentuée de l’investissement dans les activités domestiques… Pourquoi les naissances dans un couple d’actifs vont-elles porter à un arbitrage des revenus statistiquement « défavorable » aux femmes, alors qu’il résulte d’une décision commune et également libre ?

Les femmes sont souvent plus jeunes que leur compagnon dans l’avancement de leur carrière, parce qu’elles sont plus jeunes en âge d’autant. Dans huit cas sur dix, l’homme est plus âgé, et dans ce cas l’écart est plus important que lorsque c’est la femme qui est plus âgée[1].

L’écart d’âge entre les deux partenaires au mariage ou à l’union libre, voisin de deux ans en moyenne, est très stable sur une longue période d’observation (statistiques Insee établies depuis 1946) et assorti d’une relativement faible dispersion sociale, sinon – ce qui n’est pas indifférent – sous le critère du diplôme et du niveau de revenu (écart moindre entre hauts diplômés qui se sont rencontrés au sein d’une même classe d’âges, sur les bancs de l’Université pour faire court ; écart supérieur parmi les classes populaires où l’univers du travail, brassant les classes d’âges, ainsi que les lieux tous publics jouent un rôle plus éminent dans le choix du conjoint.)

Les stratégies matrimoniales aussi prédisposent au « sacrifice » partiel de la carrière. S’il est permis de douter que les hommes aient la haute main sur le marché du travail, il est moins douteux que les femmes ont la prééminence sur le marché conjugal. Lire la suite

La querelle du ménage – 2. La pointeuse d’EDT et ses réglages

La querelle du ménage – 2. La pointeuse d’EDT et ses réglages

Une autre enquête épisodique, menée depuis 1966, supplée quelques-unes des faiblesses d’Erfi, non sans soulever d’autres questions. L’Enquête Emploi du temps (« EDT »)[1] de l’Insee menée en 2009-2010 livre, elle, des durées brutes dans l’évaluation des « temps sociaux quotidiens ».

La population de référence d’EDT est toutefois bien différente de celle d’Erfi : limitée aux femmes et hommes de 15 à 60 ans, hors étudiants et retraités, elle inclut les personnes vivant seules et les familles monoparentales (ce qui constitue un biais structurel de nature à fausser en partie l’interprétation de certains résultats, puisque les familles monoparentales avec enfants concernent principalement les femmes).

Comme l’indique le concept de « temps sociaux quotidiens », EDT n’est pas centrée sur le seul temps domestique et dépend moins, dans ses évaluations, du regard des acteurs sur eux-mêmes, ce qui tend à la rendre plus robuste qu’Erfi, tout en visant à plus de précision dans la décomposition de la partie « temps domestique » (où la nomenclature distingue une quarantaine de postes). Toutefois, l’affirmation que le recours au « carnet » permet d’« évaluer objectivement le temps passé aux tâches domestiques car il n’est pas demandé à la personne d’estimer cette durée elle-même »[2]n’emporte pas tout-à-fait la conviction. Lire la suite

La querelle du ménage – 1. Les montres molles d’Erfi

La querelle du ménage – 1. Les montres molles d’Erfi

 « Nous assumons l’immense majorité des tâches ménagères », écrivaient en 2011 les « 343 » de Libé [1] . Avec la tâche ménagère on touche au noyau dur de la complainte féministe, à ce qui repose sur le plus large consensus, et sur les études les moins discutées. Celles qui méritent par conséquent le plus de l’être. La présente section s’appuie sur les deux principales enquêtes récurrentes, émanant d’organismes publics, qui abordent le sujet, et sur des travaux qui en sont dérivés : l’Étude des relations familiales et intergénérationnelles (Erfi) et l’enquête Emploi du temps. Brèves histoires de temps. Le présent article traite de la première.

L’Étude des relations familiales et intergénérationnelles (Erfi, Ined-Insee)[2], l’une des principales sources, avec l’Enquête emploi du temps de l’Insee, des travaux sur les tâches ménagères et familiales, est menée parmi les personnes vivant en couple. D’emblée, il faut souligner, à l’encontre de l’utilisation partisane outrée qui peut en être faite, que les résultats qu’elle livre invalident l’expression « immense majorité » du manifeste des « 343 ». Des « tâches ménagères » dont elle examine la distribution entre conjoints (« préparation des repas », « vaisselle », « aspirateur », « repassage », « tenue des comptes », « courses alimentaires », ainsi qu’une mystérieuse rubrique « organisation de la vie sociale du ménage / invitations »), seul le repassage est selon elle un attribut exclusif pour une très nette majorité (66 %) de femmes. Les autres sont à forte participation masculine, même si cette participation paraît intermittente pour la « tâche » repas.

Reste que l’enquête Erfi est trompeuse, parce que portée à sous-estimer les contributions domestiques (ménagères et parentales) des hommes [3]. Cette sous-estimation est le produit de biais tenant à la fois aux conditions et aux présupposés de l’enquête, à ce qu’elle met en avant et à ce qu’elle ignore. La mesure est faussée, mais de façon univoque.

Biais de conditions d’enquête

Réalisée auprès d’un échantillon presque paritaire[4], Erfi est une enquête de type « déclarative ». Elle se fonde sur des entretiens, menés selon un protocole invariable, qui favorisent les interférences dues à l’appréciation subjective. Son exploitation ne fait pas, chez ses commentateurs, l’objet de recoupements avec d’autres sources.

Les déclarations reflètent-elles fidèlement les pratiques ? C’est tout le présupposé d’Erfi, Lire la suite

Le plafond de verre et autres fables – 1. Impossible discrimination

Disparité, inégalité, discrimination au travail : de ces glissements de sens ad hoc, l’idéologie fait son miel.

L’égalité salariale des sexes est dans le droit et nul ne la conteste, mais il est utile au féminisme de faire accroire que la contrecarre une hostilité résolue. Pour la briser, il en appelle à la férule de l’État : « Des mesures doivent être prises rapidement, écrivaient ainsi les 343 pétitionnaires du « manifeste » du 2 avril 2011, pour garantir l’égalité dans l’emploi, en faisant reculer la précarité du travail des femmes et en imposant l’égalité salariale. » Quelles mesures ? On devine qu’il faudra-faire-en-sorte-que. Et l’on note que la précarité du travail n’appelle pas en soi de « mesures », si elle ne touche spécialement les femmes – comme si aucune ne souffrait aussi de la dévalorisation des tâches, de la déflation salariale, de la fragilisation contractuelle qui affectent leurs parents ou compagnons.

« Nous touchons, poursuivaient les « 343 » de 2011, des salaires ou des retraites largement inférieurs à ceux des hommes. » L’affirmation ne s’étaie de rien, mais un manifeste n’est pas le lieu de détailler. Voyons alors l’implicite, largement développé par d’innombrables publications militantes (OLF et autres groupes ultra) ou institutionnelles (directions ministérielles, Université, organismes ad hoc…), les unes et les autres ne différant que par le ton qui sied à leur position de discours.

Cet implicite, donc, consiste pour l’essentiel à agiter des chiffres puisés à la grosse louche des « femmes-en-moyenne » ou des « femmes-cadres-en-moyenne », de les opposer à autant d’hommes moyens[1], et d’exhiber ces marionnettes en toute négligence des effets de structure (temps de travail, durée des carrières, secteur, taille de l’entreprise, ancienneté, qualification, nonobstant ceux que néglige l’appareil descriptif mobilisé, en particulier pour ce qui concerne les qualifications, cf. infra.) par quoi s’expliquent les écarts de salaires en moyenne – et dont les combinaisons opèrent à tous niveaux de finesse du marché du travail.

L’Insee, qui publie en bonne rigueur les chiffres que rebat ad nauseam l’idéologie féministe, plutôt que d’inégalités parle de « disparités de salaire ». Ce n’est pas la même chose. Entre les deux, hors effets de structure observés, se tient ce qui (par hypothèse à ce stade) serait résiduellement du domaine de la discrimination, ce qui contreviendrait au principe à travail égal, salaire égal[2].

7 % et non 30

La distribution disparate des hommes et des femmes entre les emplois et niveaux de qualification constitue ces effets de structure, qui font écrire à l’Observatoire des inégalités[3], partant d’un écart moyen des salaires de 27 % (de moins pour les femmes), chiffre ramené ensuite à 19 % (en équivalents temps pleins) puis à moins de 10 % (à équivalence de postes, qualifications, secteurs), que « la discrimination pure est sans doute de l’ordre de 6 ou 7 % » (à équivalence de diplôme, longueur de carrière, situation familiale). Encore rien ne permet-il de dire que ces 7 % n’abritent pas d’autres facteurs structurels négligés (le taux d’encadrement ou l’âge de l’entreprise, par exemple). Ni que, quoi qu’en écrive le dit Observatoire, toutes choses égales par ailleurs et en l’absence de tout effet de structure, une différence de salaire entre deux salariés résulte forcément d’une discrimination – qui suppose une volonté–, ni que, le cas échéant, le sexe en est le seul critère ou même le principal.

Il se pourrait d’ailleurs, à l’inverse, que d’éventuelles inégalités sinon des discriminations par le sexe, dans cette bouteille à l’encre des « 6-7 % », soit sous-estimées, en cela que les « 27 % » d’écart en moyenne générale, tous effets de structure inclus, résultent d’un calcul où agissent aussi des inégalités de salaires à l’avantage des femmes.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas autour de ces 7 % que les ultras parlent de « discriminations », mais des 27 %, plus propres à susciter l’indignation, surtout arrondis par commodité à 30 %. Tel est le papillon statistique dont les médias contemplent le plus souvent les ailes.

Oui, mais le temps partiel subi ? Qu’il y en ait est indéniable, qu’il touche les femmes plus que les hommes, hautement vraisemblable (encore que cette précarité ait son pendant dans l’intérim, principalement masculin), mais que cette différence résulte forcément d’une discrimination, cela n’a pas de sens. Quelles sont les situations d’embauche où un employeur, pour une série de postes à temps partiel à pourvoir, voyant se présenter un homme, déciderait de faire exception pour lui et de lui proposer un temps plein ? En réalité, de même que des emplois traditionnellement masculins se féminisent, des emplois réputés féminins s’ouvrent aux hommes, tandis que la précarité et la contrainte des contrats courts gangrènent l’ensemble des bas échelons du salariat, sans plus de considération de sexe – et en tout cas bien moins que de considérations d’âge.

Rien d’étonnant alors si c’est en haut de l’échelle que les écarts de salaires, en moyenne toujours, sont les plus importants – de l’ordre de 30 %, nous dit l’Observatoire – et parmi les employés, « catégorie majoritairement féminisée », qu’ils sont les plus faibles.

Questions éludées

L’Observatoire des inégalités ne se risque pas à explorer l’hypothèse que ce pourrait être aussi parmi les cadres que la « discrimination pure » joue le moins, puisqu’y prévalent davantage qu’en bas de l’échelle la définition précise et la moindre interchangeabilité des postes et des titres. Ni l’hypothèse complémentaire que ce pourrait être parmi les employés que la « discrimination pure » joue le plus (puisque ces emplois sont moins spécialisés que les emplois ouvriers, et partant moins exposés aux effets de structure associés aux qualifications). Cela risquerait fort d’établir qu’il n’y a pas de rapport de causalité entre inégalités statistiques et discrimination.

La moindre représentation des femmes en moyenne des emplois les mieux rémunérés (pas dans tous, certains étant même principalement féminins) ne signifie pas qu’il y ait différence de traitement, inégalité entretenue, entre celles et ceux qui les occupent. Leur moindre accès peut résulter davantage d’une moindre propension que d’une barrière à l’entrée à laquelle se heurteraient celles qui seraient susceptibles de les occuper. Mais cette éventualité n’est à peu près jamais prise en considération dans les études d’emploi et de mobilité portant sur les cadres, et a fortiori sur les autres catégories – ce qui est fort dommageable pour les observatoires de tout poil, puisqu’ils se privent aussi par là de connaître le nombre de vocations féminines injustement contrariées, dans le bâtiment par exemple.


[1]  « L’homme moyen », né vers 1835 du dilettantisme pré-sociologique du mathématicien Adolphe Quételet, a été tout le XXe siècle l’une des pierres de touche des systèmes de pensée totalitaire. Le féminisme, idéologie négatrice du genre humain, n’y déroge pas, quoiqu’il réactive le plus souvent l’homme moyen non comme modèle mais comme faire-valoir négatif.

[2]  L’Insee cède pourtant lui-même au tropisme idéologique dominant quand il écrit qu’« en 2008, une femme travaillant à temps complet gagne en moyenne 19,2 % de moins que son homologue masculin ». Une employée de banque a un homologue, qui gagne plus, autant ou moins qu’elle, c’est à voir. Mais un artefact statistique comme la femme moyenne n’a pas d’homologue.

[3]  www.inegalites.fr/spip.php?article972, source Insee, « déclarations annuelles des données sociales ».

Facteurs structurels négligés – 3. Statut de l’entreprise, le poids de l’ESS

Facteurs structurels négligés – 3. Statut de l’entreprise, le poids de l’ESS

Le secteur d’activité, sous l’aspect du statut juridique des entreprises, constitue un facteur affectant la répartition hommes-femmes globale de la masse salariale que négligent de considérer les études disponibles.

L’économie sociale et solidaire (ESS), mutualiste, associative ou coopérative, représente 10 % des emplois salariés[1] et emploie près de 66 % de femmes, une proportion voisine et même supérieure à la part des femmes dans le secteur public (58 %), et de loin supérieure à celle des femmes dans le reste de l’économie marchande (39 %).

La caractéristique de nombre d’emplois de l’ESS, comparés aux autres emplois marchands, est d’être moins exposés Lire la suite

Facteurs structurels négligés des disparités salariales – Propos liminaire

Facteurs structurels négligés des disparités salariales – Propos liminaire

La disparité des écarts de salaires hommes-femmes selon les branches, telles qu’elle ressort de l’enquête Insee-DADS, suffirait à mettre en doute l’hypothèse d’une discrimination culturelle préjudiciable aux femmes qui serait à l’œuvre dans l’ensemble du marché du travail.

Dans quatre conventions collectives de branche, observe la Dares [1] (pour s’indigner qu’il n’en aille pas de même dans les cinquante autres qu’elle passe en revue), « le salaire moyen net des femmes est légèrement supérieur à celui des hommes : activités de déchet (+ 6 %), travaux publics ouvriers (+ 3,5 %), prévention et sécurité (+ 3,4 %) et bâtiment ouvriers plus de dix salariés (+ 3,3 %) ».

Si l’on écarte l’idée d’un féminisme militant gouvernant les politiques salariales dans le BTP et le traitement des déchets, il faut se rabattre sur la recherche des effets de structure susceptibles d’expliquer cet écart Lire la suite